Timothée, il en profita pour souffler et son souffle léger monta jusqu'à l'aigle là-haut qui observait, médusé.

Or, un aigle sous l'emprise d'une Gorgone n'est plus un aigle ; il se ressaisit donc rapidement, comprit

que le quatuor et lui formaient un véritable quintet et, en vrai maître des cieux, de la montagne et des

vivants, le Grand Aigle montra le haut de la passe, devançant, accompagnant, encourageant les quatre

valeureux garçons.

Dans un suprême effort, la Volga et ses quatre fils atteignirent le sommet du col, le Grand Aigle prit

de la hauteur, tournoya en silence, les quatre frères s'arrêtèrent, à leur tour médusés par le spectacle qui

s'offraient à eux : Davida, dans sa robe noire au plastron rouge constellé de petits miroirs, bracelets

d'argent, bague de lapis-lazuli et collier d'émeraude, allongée sur des coussins ouzbeks, un chapeau de

cow-boy sur ses longs cheveux noirs, s'accompagnant du luth, chantait sa chanson d'amour tant de fois

lancée aux soleils des montagnes afghanes, "Fleur jaune, fleur cruelle, tu m'as brisé le cœur.". Le

prince Daoud, son long coutelas au manche de cuir à la ceinture, un fusil de chasse à la main, lui qui

savait parler aux oiseaux de l'Hindou-Kouch, s'avança : "Bienvenue, mes frères, nous vous attendions

sans inquiétude, bienvenue à toi aussi Grand Aigle de la montagne, merci de les avoir guidés jusqu'à

nous. Holà ! Serviteurs et autres fidèles compagnons, servez du thé brûlant à mes frères, et toi Grand

Aigle repars vers tes aiglons et ton aiglonne du Pamir."

Davida, Daoud, Léo, Antonin, Siméon, Timothée, enfin réunis, s'assirent sur un grand tapis, kilim

de Mazar-i-Charif : poulets grillés, kebabs d'agneau, palaos de riz colorés et odorants aux raisins, aux

pistaches, à l'orange, ragoût d'aubergines ou boronis à la courge et au yaourt, épinards à la rhubarbe,

raviolis aux légumes, âchaks et autres mantous, multiples pâtisseries aux vives couleurs, jus de grenade,

melons, pastèques, petits raisins blancs, cerises salées, abricots, le pique-nique attendu fut récompense

à la hardiesse et à la persévérance.

Le Grand Aigle s'éloignait vers le lointain Pamir.La trompette et le luth chantaient.La poésie, les vers

de Majrouh et de Hâfiz volaient dans la montagne.Une nouvelle année, riche d'espérance, s'ouvrait pour Léo.