LES ELFES DE LA NUIT

à Copenhague

La petite sirène brille au soleil couchant de Copenhague et son regard de bronze illuminé semble vouloir enfouir

sa mélancolie dans les profondeurs des eaux. Petite sirène menue. Humble fragilité. Pensée issue de la vie marine.

 

Pourtant, tout autour d'elle, la foule l'assaille, crie, chante, photographie, filme, s'exclame, rit. Photos éternelles

sans cesse renouvelées, photos de voyage de noces, photos de carte postale, photos de groupe. Le meilleur angle

encore. Rires satisfaits. Un bateau mouche passe. Puis un autre. Montrée du doigt. Des Espagnols habillés en alguazils

de Tolède lui font une aubade de chants et de guitares. Juliette embrasse Roméo. Deux vieux se regardent furtivement.

D'autres bateaux passent, d'autres bras se tendent vers elle. D'autres Juliette. D'autres.

 

Mais le silence, soudain et incompris. Le clapotis étrange de l'eau sur les rochers de la berge. Le soleil maître de la

chevelure de la jeune danoise. Puis un ronflement discret sur l'eau du chenal de København. Un engin marin, moto de la mer,

caréné d'acier noir. Noir comme la robe de lin de la fille qui le pilote et s'approche de la rive, déesse des eaux froides

surgie du soleil pour apostropher la foule pétrifiée.

 

" Qui, parmi vous se nomme La Nuit? Qu'elle vienne à moi. Je connais ton regard de mélancolie profonde, je sais ta pensée

d'inquiétude fragile. Viens à moi, ô mon amour. Tu aborderas aux crêtes des vagues et tu verras la profondeur du soleil se

coucher dans les eaux. Viens à moi, fille, et oublie le monde que tu quittes à jamais. "

L'engin marin, soulevé au-dessus du chenal de la mer, emporte les deux femmes vers l'horizon indéfini. La foule reprend sa vie.

La petite sirène de Copenhague, Den Lille Havfrue, semble moins fragile, son regard est moins triste, elle a retrouvé le sens de la

vie des mers profondes.



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               motif: MÁTTARÁHKKÁ, la première Mère, dans la mythologie des Sâmés
(motif traditionnel lapon)