Août 1944
                  
                                                                                               Les enfants cracheurs d'août 44
                  
                  Après le bombardement de Marseille du 27 mai 44, mes parents, dans la perspective des combats à venir 
pour la libération de la ville, nous avaient mis à l'abri, ma petite sœur et moi, dans une maison d'enfants 
près de Lyon - ma grand-mère maternelle, frangeuse, habitait sur les pentes de la Croix-Rousse. Nous étions 
une vingtaine d'enfants, choyés, protégés, dans une grande maison tenue par "Tante Nany" - que sa mémoire
nous guide - dans le village de Guéreins, près de Belleville (aujourd'hui Belleville en Beaujolais), à l'abri de la 
guerre et bien nourris.
                  
Ce dimanche-là du mois d'août, messe de 10 h, bénédicité, vêpres de 15 h, nous sortons de l'église sur le 
parvis surplombant la route qui traverse le village et remonte vers le nord. Bruit de bottes ? Enfants, 
nous nous penchons par-dessus la balustrade : une troupe de soldats allemands, à pied, armés de leur
seul fusil, battent en retraite. Des soldats vieux à nos yeux d'enfants ; ils ne font plus peur.
                  
Qui le premier leur a craché dessus ? Jets de salive qui coule sur les soldats déjà vaincus. Aucune réaction. 
Les vaincus reçoivent nos crachats, nos jets de salive dans le silence. Ils passent, sans réaction. Nous sommes 
des héros pour l'éternité des jours. Nous pouvons retourner, culottes courtes et robes ensoleillées, dans 
l'innocence et la légèreté de l'été, à nos occupations dominicales : glaner les épis de blé perdus dans les 
champs moissonnés ; nous baigner dans la Saône, au pied du pont de Belleville.Quelques jours plus tard, 
les maquisards feront sauter le tablier du pont retardant le passage des troupes en retraite. Lyon sera libérée 
les 3-4 septembre - et la place des Terreaux avec sa fontaine au milieu, la Ficelle et le Gros Caillou. Temps béni.
                  
75 ans plus tard, je garde en mémoire ces soldats oubliés dans le néant des jours, victimes eux aussi d'une 
barbarie qui les avait dépassés et broyés. Et que sont devenus les enfants cracheurs ? Etions-nous des 
anges justiciers ou portions-nous déjà le mal inhérent à toute société humaine ? (Rousseau ou Voltaire ?) 
 
Mai 2021
Grâce à Google Earth, j'ai pu revoir les lieux : la rue est bien en contrebas par rapport au parvis de l'église, 
mais beaucoup moins que dans mes souvenirs ; les soldats étaient plus proches rendant nos jets de salive 
plus audacieux, plus dangereux ; voire seulement imaginés ? Ainsi vont les témoignages, ainsi va l'Histoire...                                  
                  
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