Eté 1970
Une rencontre à Athènes
 
 

Toi, entrevue si peu, une après-midi à Athènes ; tu tenais, entre midi et deux, une boutique de souvenirs pour touristes aux alentours de la place de la Constitution. Je tuais quelques heures en attendant le bus qui devait me mener à l'aéroport prendre le vol d'Air France pour Téhéran - l'Iran du chah - puis celui d'Ariana pour Kaboul- l'Afghanistan encore mystérieux et paisible du roi. Kaboul : c'était les " congés de chaleur " du lycée Esteqlal où j'enseignais notre langue, 15 jours qui m'avaient permis de rentrer en France pour retrouver ma famille. C'était le retour, avec l'escale aimée à Athènes, le temps de revoir le Musée et l'Acropole, de faire quelques pas place Syntagma et place Omonia - rituels.

Tu avais dans les vingt ans, tu parlais assez bien le français, tu me montrais les céramiques à fond rouge, celles à fond noir, des reproductions de l'Hermès de Praxitèle, des bustes de Périclès et d'Alexandre. Puis nous avons parlé de Marseille cité grecque, de Gyptis et Protis, de l'Odyssée, de Calypso en son île parfumée, de Nausicaa princesse aux bras blancs. J'ai parlé de Kaboul, d'Alexandre le Grand, mais l'intérêt, le sien, le mien, était ailleurs : les Colonels par un coup d'état avaient pris le pouvoir et maintenaient la Grèce sous le joug de la dictature militaire et fasciste. Plus que Nausicaa, plus que les céramiques à motifs géométriques, plus que Socrate et Platon, ce dont elle voulait parler c'était de la liberté perdue, de la démocratie bafouée, des camps sur les îles, de Ritsos et de Theodorakis, de la vie insupportable sous la férule policière. Puis soudain : " Emmène-moi avec toi. Je veux quitter la Grèce. "J'ai repris la route de l'aéroport, de Téhéran et de Kaboul. Elle a repris la vente des souvenirs aux touristes de passage place Syntagma.

Depuis ce jour, Antigone, Calypso, Nausicaa, Grecques éternelles, ont un visage, celui de cette fille qui avait voulu partir.

 

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