Etés 70
au soleil de l'été
Qu'êtes-vous devenus, vous qui partiez découvrir, le cur léger et le regard avide, la société idéale d'un Cuba de rêve ? Et toi, qu'es-tu devenue, toi qui partis pour Cuba un jour de solstice d'été, casquette au front, t-shirt à l'effigie de Che Guevara, sac au dos, jeans et espadrilles, emplie de l'espoir de trouver un monde meilleur, là-bas, au soleil lumineux de La Havane. Toi, qui avais, au demeurant, déjà cherché du côté de Mao, de Gramsci ; tu avais lu Lénine, L'Etat et la Révolution ; tu avais passé un été dans un kibboutz, les mains calleuses ; tu avais lu Wilhelm Reich, La Fonction de l'orgasme ; tu avais approché Elisée Reclus et Henry David Thoreau ; tu côtoyais Simone de Beauvoir, Joan Baez à Hanoï sous les bombes ; tu exécrais les staliniens ; tu avais couru les routes de Kaboul, de Band-i-Amir, de Katmandu ; tu avais connu les plages de Goa. Liberté. Tu avais passé des nuits à parler parler, lire lire, imaginer imaginer. Restait Cuba, le Che, Fidel et la Révolution. Hasta siempre Comandante. Mais " seule la vérité est révolutionnaire " Tu aimais la formule que tu attribuais à Lénine. Tu es donc partie chercher la Vérité à La Havane, au soleil de Granma*. Mais tu as rencontré, dis-tu, un peuple passif, peu motivé, souvent illettré, guidé par une élite révolutionnaire en uniforme, qui se disait avant-garde de la classe paysanne ; mais tu as découvert un Che Guevara autre que celui de ton t-shirt, celui-là même qui déclarait à l'Assemblée générale de l'ONU, le 11 décembre 1964: " Oui, nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu'il le faudra. "; mais tu as trouvé un Fidel Castro chef d'un Etat policier - surveillance et contrainte : " Tout pour la Révolution, hors de la Révolution, rien" "*, justifiant la répression; mais tu as lu ces banderoles subversives et clandestines " La escuela al precio de la Libertad " -L'Ecole au prix de la liberté ; mais tu as trouvé d'autres chercheurs de liberté, les " balseros " - familles quittant leur terre natale au péril de leur vie, dans l'espoir de trouver en Floride ce que tu ne trouvais pas à Cuba. Libertad - mot vain. Mer des Caraïbes telle un Mur de Berlin. Tu avais mesuré l'écart entre l'enthousiasme du verbe et le réel des faits. Seule la Vérité est révolutionnaire. Pas sa dissimulation. La réalité policière avait pris le pas sur l'utopie révolutionnaire. Alors qu'es-tu devenue, ô toi qui partis un jour de solstice d'été pour un rêve ensoleillé ? As-tu trouvé ton chemin de jasmins ou n'es-tu encore qu'une " errante dans l'errance infinie " ? Inquiète et passionnée, as-tu trouvé la sereine allégresse ? Et vous, cherchants, chercheurs de l'improbable société idéale, juste, équilibrée, cherchez-vous toujours ? Votre quête abandonnée, qu'avez-vous fait de la joie et de l'espérance qui vous animaient ? Les avez-vous oubliées ? Les avez-vous transmises ? * journal du parti communiste cubain ** " Tout dans la Révolution ; hors de la Révolution, rien " Cette phrase est prononcée par Castro le 13 mars 1966 sur les marches de l'Université de La Havane à l'occasion du neuvième anniversaire de l'assaut contre le Palais présidentiel. retour au sommaire