Automne1970

27 juillet 1973

Partcham & Khalq ( le Drapeau, le Peuple)
 

Kaboul. C'était déjà l'automne de 1970, il était temps de chauffer les maisons dans l'attente de l'hiver afghan, froid et neige :

poêles à bois, poêles aux fleurs de coton pour une chaleur douce. Ce matin de novembre, on m'appelle, il y avait le feu

chez moi, un feu de cheminée. Les pompiers étaient à l'œuvre : lance à eau et pioche sur le toit-terrasse de torchis.

C'est cet incendie qui m'a permis de rencontrer le fils du propriétaire de la grande villa que je louais ; il venait voir les dégâts

causés par le feu, par l'eau, par la pioche. Il était accompagné d'un ami, la trentaine lui aussi. On échange en français autour

d'un whisky, ce sont deux anciens élèves du lycée Esteqlal, le lycée franco-afghan. On parle de l'Afghanistan, de la situation

du pays, de la misère, de l'archaïsme de la société, du sort des femmes, de l'emprise de l'Islam. Ce sont deux officiers de

l'armée afghane, ils sont communistes, en formation en URSS, en permission à Kaboul. Pour eux, la révolution marxiste-léniniste

est la solution aux maux de la société afghane. Je réponds que les " masses " ne sont pas prêtes. Je cite Lénine, " L'Etat et

la Révolution ", ils sont en confiance, je rappelle le rôle de la classe ouvrière en 1917, ils rétorquent que l'adhésion des

" masses paysannes " n'est pas nécessaire, ils m'opposent l'exemple de Cuba où la révolution a été menée par une élite

éduquée; officiers, communistes, afghans, ils sont l'élite de la nation, l'avant-garde de la société afghane, le fer de lance

de la révolution pour le bien du peuple ; dans un premier temps ils pourront s'appuyer sur la couche intellectuelle et aisée

du pays qui demande l'abolition de la royauté et l'avènement de la démocratie. Schéma léniniste classique.

Avec trois ans d'avance, ils dessinaient le coup d'état du 17 juillet 1973, initié par Sardar Mohammed Daoud, ancien

premier ministre et cousin germain du roi, mis en œuvre en sous-main par les communistes*, noyau idéologique de l'armée

afghane, et avec le soutien actif d'ambitieux issus de la haute société, voire de sincères mais naïfs démocrates. Le coup d'état

a mis fin à la royauté et porté à la présidence de la république Sardar Mohammed Daoud. C'était une figure présentable aux

yeux de la population et de l'étranger, président contraint au début par le " Comité " qui comprenait force membres du Partcham

(le Drapeau) - un des deux partis communistes afghans.

27 avril 1978. Lorsque le président Daoud se sera cru suffisamment fort pour se débarrasser de ses alliés communistes qui

l'avaient porté au pouvoir, lorsqu'il aura scellé une alliance qui n'avait rien de marxiste avec le chah d'Iran et apaisé les relations

avec le Pakistan d'Ali Bhutto, lorsqu'il croira pouvoir voler de ses propres ailes, il sera abattu avec tous les membres de sa famille.

Les deux partis communistes, Partcham et Khalq, réunifiés, auront le pouvoir d'une révolution triomphante.

Radio Kaboul au soir du 27 avril, 19h :

" Communiqué du Conseil militaire des forces armées d'Afghanistan

"Sardâr Mohammad Dâoud, le dernier survivant de la famille despote du roi Nâder Khân, le plus grand imposteur devant l'histoire,

l'homme qui a trahi la volonté du peuple d'Afghanistan a été supprimé définitivement. Désormais la souveraineté nationale appartient

à vous, noble peuple d'Afghanistan. La défense des acquis de la révolution et l'élimination des partisans de ce Sardâr** despote et

cruel est désormais le devoir de chacun des membres du digne peuple d'Afghanistan. "

 

Avec le recul des ans, je m'interroge encore sur ce que m'avaient dit mes deux interlocuteurs de 1970 : authenticité de l'espoir

et de l'utopie ou voile de fumée d'un discours convenu ? Je penche pour la première hypothèse, je gage alors qu'ils seront parmi

les premiers à être - au mieux - envoyés à la sinistre prison de Pul-i-Charkhi, au pire, victime d'une des nombreuses purges du régime.

Acte 1 du chaos infernal dans lequel se débat, depuis, l'Afghanistan.

 

*avec l'appui vraisemblable des Soviétiques, bien que nié tant par les Russes que par les soutiens de Dâoud. 120 tankistes russes

étaient arrivés la semaine précédente pour former les tankistes afghans au tank T56.

** sardar, prince en persan

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