Île de Maupiti, sous le Vent

 

Quelques traces de pas sur le sable de corail, à l'ombre fine et incertaine

des grands cocotiers. La mer du lagon est manino, tranquille. Toute la nature

est manino. Quelques sternes, quelques mouettes noires, des noddis. 

Quelle sterne, quel oiseau marin bouleversera le calme intérieur qui m'habite?

Calme ou engourdissement? Celui des chaleurs de l'été de Djalalabad.

Les pas, marques de pieds nus, se dirigent vers l'eau, s'y perdent parfois.

 Je les suis. Qui marche ainsi le long du motu en cette fin d'après-midi brûlante? 

Les pas s'enfoncent dans le lagon. J'y pénètre à mon tour. Mon corps tout entier

est pris dans la tiédeur marine d'un jardin de corail. Rougets, carangues, napoléons,

perroquets, poissons gendarmes, poissons coffre et tamourés s'écartent et

fuient à mon approche, virevoltes colorées et soudaines en eau paisible. 

Seul un chirurgien s'approche, agressif, prêt à mordre; une aiguillette au fin museau,

venimeuse, passe, menaçante; d'apnée en apnée, je me faufile entre les récifs

de coraux gris ou jaune pâle, maître de l'élément marin qui m'enveloppe,

mais maître éphémère. Quel bonheur il y aurait à rester dans les fonds,

familier de la vie liquide. J'essaie d'écarter, impuissant, le lien maternel qui m'obsède,

j'émerge au soleil ébloui et déstabilisé, je replonge aussitôt. Mais le récif s'est éteint,

poissons et coquillages sont ailleurs, l'eau est vide de vie, un courant s'est formé

qui m'attire vers la barrière bruyante et agitée. Je nage avec force, poussé par

l'inquiétude, je reprends pied et gagne d'une allure incertaine la plage à la recherche des pas

sur le sable. Les voici retrouvés, sortis des eaux qui les avaient dissimulés.

Je vais à leur suite en direction du soleil qui descend derrière les tamanous.

Les traces sont plus légères que les miennes, moins enfoncées dans le sable.

 A l'extrémité du motu, je tourne sur ma gauche, en direction du couchant. 

La lumière est encore vive, les eaux d'émeraude sur fond de sable blanc. 

Une vieille pirogue taillée dans un tronc de cocotier me sert de banc. 

Les pas ont de nouveau disparu, dirigés vers le soleil qui descend à l'horizon de l'océan. 

Je joue avec les coquillages, mitres, cônes, sept doigts, pocelaines, casques cornus,

mitres et trompettes de tritons, essayant de voir, dans le rouge lumineux et aveuglant,

la silhouette qui m'a devancé. Le soleil effleure à présent l'océan. Je cherche en vain

les éclats verts mythiques du couchant parmi les feux orangés. La paix s'installe sur l'océan

et apparaît alors celle dont les pas m'avait guidé: pareo bleu épousant les hanches,

issue de la lumière marine, le regard manino, fille océanique et solaire. Mais les derniers rayons

se voilent dans les flots, ils emportent avec eux l'image estompée de celle qui emplit

mon esprit et mon corps, ô suicide et renaissance espérée.

                               
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