Raiatea: sanctuaire de Taputapuatea


On ne sait, dans la nuit, ce qui du végétal ou du minéral a pris la maîtrise du marae de Taputapuatea. 

A moins que roches et arbres ne s'exhalent de Mana, force et esprit de la vie. Les grands arbres

polynésiens, arbres de fer et tamanous, prennent appui sur le sol de corail et de volcan à la recherche

de la lune à venir, les pandanus et les banians aux racines aériennes et tourmentées s'élancent au-dessus

du rivage à la rencontre du flot calme et obscur du lagon. Les grandes dalles grises de basalte s'assemblent,

grossières, jusque vers la mer, formant une large plate-forme inébranlable, dominée à son extrémité par l'ahu,

autel tabulaire, coeur noir du marae.

 

Mais le marae n'est pas seulement végétal et minéral. Dans l'attente de la lune, femmes et hommes de la mer

et de la montagne restent accroupis dans le silence de la nuit, hors de l'enceinte interdite. Peu à peu,

l'un après l'autre, ils se lèvent. Les pieds nus des hommes frappent le sol. Les mains des femmes forment

contretemps, légères et plus aiguës. Leurs voix s'élèvent, stellaires, immatérielles, au rythme sourd des

tambours de bois. La lune, pleine, sort du vieux volcan, la Croix du Sud, illuminée, disparaît dans l'infini.

Le marae de Taputapuatea a pris vie. Les chants des hommes et des femmes se répondent à présent

avec vigueur au son des percussions des bois de tamanou, des coups de poings sur la poitrine et sur les cuisses. 

De longues pirogues de cocotiers franchissent la passe sacrée de Te Ava Moa, des dauphins les escortent,

libres et vifs; les hommes sautent lestement à terre, bondissent sur le marae en pareos blancs. La lune est haut

sous les étoiles. Des feux sont allumés aux abords de la plate-forme que les enfants, purs, au parfum de vanille,

couvrent de fleurs. Les himénés sont chantés avec douceur, ils diminuent de force et deviennent murmures. 

 

Daoud et Hina* apparaissent alors dans les couleurs vives de leur pareo. L'un au septentrion, l'autre au midi. 

Chacun de son côté s'avance vers l'autel de pierre, le regard l'un à l'autre possédé, le cou et la tête couronnés

des fleurs de Polynésie, tiaré blanches de Tahiti ou de Moorea, bougainvilliers, frangipaniers et hibiscus. 

Tous deux dans leur beauté lunaire, juvénile, originelle. Chacun porte, caché, un tatouage bleu au-dessus du pubis. 

Daoud, une tortue marine dont chaque patte est un animal marin, requin à pointe noire, requin marteau, raie, dauphin. 

Hina, un soleil de lumière et de brûlure. Les chants ont repris, soutenus par les ukulélés et les tambours; un héron,

un martin-pêcheur et un pivert, oiseaux des anciens dieux, s'envolent pour les saluer. Les deux amants se dirigent

vers le lagon, les jeunes enfants lancent des fleurs d'innocence, ils s'enfoncent dans l'eau et disparaissent dans la mer,

la nuit, le rêve et l'illusion. Ils ont franchi le Voile.

 

Oiseau du paradis, je chevauche les mots et m'élève au-dessus des pièges de ce monde.


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* Principe féminin chez les Polynésiens de l'Île de Pâques