à Thèbes, dans la tombe de Nakht
Pour gagner l'autre rive du Nil, vers les tombes anciennes, elle a pris le vieux bac, presséedans la foule d'hommes en galabeyas, de femmes en noir, de fillettes colorées, d'ânes, de poules
et de charrettes. Vêtue finement de sa robe de coton couleur de feuilles mortes, celle qu'elle
portait dans sa maison des collines, les soirs du dernier été, elle allait satisfaire ce qu'elle voulait
être son destin. Elle allait enfin pouvoir approcher les trois musiciennes qui avaient construit sa
jeunesse et sa vie : la joueuse de flûte, dans sa robe transparente, la joueuse de harpe aux quatre
bracelets d'or et, au centre, la joueuse de luth, nue, vêtue de ses seuls bijoux, bracelets, pectoral,
ceinture qui reposait sur ses hanches et s'appuyait sur son pubis noir. Jeunes, filles, éternelles.
Elle descend les premières marches de la tombe de Nakht à l'heure où le soleil décroît et où les
foules s'estompent. Le gardien lui a souri : il a deviné celle que les millénaires attendaient. Le
scarabée d'or est intégré en elle, il lui est devenu chair ; les trois musiciennes sont là, proches,
leurs yeux bleus encadrés de leurs cheveux noirs en boucles sur les épaules, la tête surmontée
d'une plume d'ibis aux couleurs d'or. Elles sont encore éclairées par la lumière captée du soleil.
Elle s'accroupit sur ses talons dans l'étroit couloir latéral, face aux trois petites musiciennes à la
peau brune. Le silence n'est qu'apparent : c'est toute la vie passée qui revient à elle. Le luth, la harpe
et la flûte enchantent sa mémoire. Le soleil s'est couché. Le gardien, initié, a refermé la grille. Elles
se retrouvent seules dans la nuit. Le scarabée d'or exhale, du profond de sa cache secrète, vie,
musique et grâce. Demain, quand la lumière reviendra de l'orient, elle pourra sortir, aux sons
jubilatoires de la harpe, de la flûte et du luth, pour aller, transformée, générée, déesse Maât, à la
quête d'un horizon de musique, d'équilibre et de joie. La plus haute lumière.