Pique nique dans l'Hindou-Kouch

 

- Pousse ! Mais pousse donc !

- Ui, ui, j'y arrive plus …

- Pousse, Timothée ! Pousse !

 La voiture, vieille et usée, ne pouvait plus avancer toute seule. La piste qui grimpait en haut du col de

l'Unaï,dans le Koh-i-Baba, était encombrée de grosses pierres. Il fallait donc pousser la Brinquebalante

poussive vers le sommet de la passe : difficile entreprise au fil des rochers pointus et des ornières profondes.

Les quatre frères n'en pouvaient plus. Antonin au volant, pilote adroit, jouait avec art des pédales et des leviers ;

Siméon jouait de la trompette pour encourager ses frères, marchant à leur côté au son de la 9e symphonie de

Beethoven; Léo se jouait des difficultés et marchait devant, un vieux guide touristique à la main, lisant à haute

voix, décrivant les beautés de l'Hindou-Kouch, lecture agrémentée de quelques poèmes persans ; Timothée,

quant à lui, tout en sueur sous le soleil, ne jouait pas, il poussait jusqu'à l'épuisement cette vieille Bique de voiture

russe qui avait connu toutes les pistes, toutes les montagnes et toutes les guerres de l'Afghanistan.

Or donc, malgré la claire trompette de Siméon, malgré la virtuosité d'Antonin, malgré les remarquables et

très fines remarques de Léo, la voiture n'avançait plus et Timothée n'en pouvait plus. La Rossinante cala une

nouvelle fois, la trompette couina, les pieds du pilote s'emmêlèrent autour des pédales et Timothée s'affala sur

le sol ingrat de la piste afghane. Seul, devant, Léo allait, libre et léger, lançant aux cieux et aux roches dénudées

quelque vers de Hâfiz, d'Omar Khayyâm ou de Majrouh.

Ils avaient quitté la qala au soleil levant, ardents et allègres, portés par la brise parfumée de l'aube, "O vent,

apporte-moi les parfums du matin" chantait Léo. Ils avaient rendez-vous au sommet du col qui traversait vers le

sud la chaîne du Koh-i-Baba, la Montagne du Grand-père. Là-haut, devaient les attendre Davida et Daoud, partis