L'âne héroïque
"Ce pelé, ce galeux" allait le long des rues de Kaboul, brayant sous les coups de bâton, cherchantsa pitance herbeuse dans les jouilles nauséabonds, fossés dans lesquels se déversaient toutes les eaux
sales de la ville ; son maître, un jeune garçon d'une dizaine d'années, n'était pas plus fringant que lui, la
morve au nez, les yeux purulents, des lambeaux de sacs de jute autour de ses tongs et une vieille couverture
sur la tête et les épaules. Ainsi allait l'avenir de l'Afghanistan, ses ânes et sa jeunesse. Il est vrai que parfois
ils passaient devant une superbe villa aux allures de forteresse, gardée par des vigiles aux lunettes noires.
Avance, petit âne, marche olaghak. Elle n'est pas pour nous cette trop belle maison. Vois cette herbe. Vois
ces belles portes. Il fait chaud, là-dedans. Sens-tu la bonne odeur du pain frais ! balé sahib ! Oui, monsieur !
Tiens, un coup de bâton ! Mais ne gémis pas si fort, c'est un coup de bâton amical parce que je t'aime bien,
ce n'est pas pour te faire mal. Que dis-tu ? Tu ne pleures pas, tu me parles ?Avance petit âne, olaghak-e-man,
mon petit âne.
Ainsi allaient par les rues de Kaboul, Olaghak le petit âne, et Rafiq, son jeune maître. Rues sales etglacées. C'est en hiver qu'on approche le mieux Kaboul, ses gamins en guenilles , ses femmes sous le
tchadri, transies de froid sous leurs robes grillagées trempées de pluie ou de neige. Ainsi va la misère sous
le Doigt de Dieu
En ce matin-là, de lumière, de glace et de lapis-lazuli, les quatre frères, sous la houlette fraternelle du
prince Daoud, se frayaient un passage dans la foule des Kaboulis. Ils avaient passé la matinée au Musée,
à regarder les pièces sauvées de la barbarie talibane. L'esprit empli de toutes ces beautés d'orient, ils ne