voyaient pas la misère autour d'eux. L'un était encore dans le Nouristan, terre de lumière et de bois,l'autre dans les steppes du nord, une grosse bague turkmène au doigt, ou sur la route d'Alexandre
devant une tête de Bouddha au profil grec. Afghanistan, terre des rêves brisés, se disait Daoud.
Perdus dans leurs pensées, ils ne virent pas le petit âne maigre et son jeune maître en guenilles.
Il est vrai que la misère était de partout dans la ville et qu'ils n'y faisaient plus attention.
Ils avaient tort.
Quelques mois plus tard
Les quatre frères étaient de retour dans la ville après un printemps passé dans la bienheureusevallée de Bâmiyân. Toujours sous la direction éclairée et bienveillante du prince Daoud, ils allaient
dans les rues, faisant leurs emplettes : chemises brodées, gilet en fourrure de karakul, collier turkmène,
bague en argent de Ghazni, vieux coffre en chêne du Nouristan Antonin devait rentrer en France pour
passer son examen de fin d'année et il emporterait avec lui des cadeaux pour les uns et les autres. En fin
d'après-midi, le vent des montagnes avait soufflé dans la cuvette surchauffée de Kaboul - une cuvette ?
avait dit Daoud, un bol plutôt ! -, soulevant la poussière de la ville, poussière des maisons en ruines,
poussière des chaussées sans asphalte et des rues sans arbres - arbres coupés pour le chauffage. La
poussière rendait l'air irrespirable et tous les cinq avançaient un foulard sur le visage. Mais la soirée
approchait. Les milliers d'oiseaux avaient disparu, qui naguère enchantaient le lever du jour et annonçaient
l'arrivée du soir par leur brusque silence. Disparus on ne sait où. Dans les souvenirs des uns et les rêves
des autres.
Ils arrivèrent au cur de la ville, près du palais présidentiel, l'ancien palais royal. Une animation toutà fait particulière les intrigua. Bizarrement, les gens qu'ils croisaient souriaient. Chose rare en ce pays