Le Bouddha caché de Bâmiyân

 

Ainsi allait le jeune capitaine Siméon. Allègre, le pas souple et le regard dégagé. Il faisait bon,

c'était le bel automne afghan : air de cristal et terre légère. L'eau de la rivière chantait : joyeux concerto

pour trompette, rivière et chant de la terre. Ainsi allait le jeune Siméon au pied des falaises de Bâmiyân :

l'écho de sa trompette d'argent emplissait la vallée, il égayait oiseaux des airs, poissons sauteurs,

fillettes sages, garçons rieurs, babas pacifiques et femmes colorées.

Il allait ainsi sur le chemin de terre ocre et sèche, jouant au gré de sa fantaisie du Vivaldi, du

Beethoven - la 9e, bien sûr -, ou, plus doux, comme un son de flûte, un air de la montagne afghane :

trompette romantique et gracile.Il allait à présent, seul dans le silence du vent. C'est alors qu'il entendit,

venant du pied de la falaise, une parole ailée. "Batchagak*… batchagak …" . Surpris par cette voix légère,

Siméon s'arrêta. Mais il ne voyait personne, hormis un paysan qui poussait son âne et une vieille femme

un ballot sur le dos. Silence étrange de la montagne immense. Siméon souffla quelques notes, aussitôt

emportées dans l'azur. "Batchadjon*… batchadjon…". Nul doute, c'était bien à lui qu'on parlait. Il répondit

avec sa trompette aussi douce qu'une flûte. " Batchagak… Hou hou, joli garçon…" "Serais-je le destinataire

de ce message codé ? Ah ! j'en aurai le cœur net ! Foi de capitaine, qui me hèle ainsi ?" Le Capitaine lança

à l'air pur et au soleil ardent une joyeuse note de sa trompette puissante. Et il attendit. "Oh ! batchagak, c'est

moi, Mahbouba !" Siméon se retourna : par dessus le mur de terre qui bordait le chemin, il vit la tête de

Mahbouba, les cheveux couverts d'un foulard vert, qui lui faisait signe de la main. "Bonjour, Mahboub, que

fais-tu ici, loin de ta maison ? - J'ai un secret à te dire . Le cœur de Siméon se mit à battre la chamade.

- Je veux te montrer quelque chose que personne n'a jamais vu. - Qu'est-ce que c'est ? - Suis-moi, mais

ne joue pas de la trompette, personne ne doit savoir."

* batchagak . Terme affectueux : batcha, garçon ; gak, diminutif
  batchadjon : cher garçon