Le Cœur du Monde

 

"Approche, Antonin, dit grand-père, je t'attendais. Bienvenue au pays de Bâmiyân. As-tu fait bon

voyage ? Fais boire ton cheval à la rivière, il s'y trempera et s'y rafraîchira. Et toi, prends cette gourde

en peau de chèvre, l'eau en est pure."

Antonin était tout éberlué. Trouver grand-père en train de pêcher la truite au bord de la rivière de

Bâmiyân, quelle extravagance ! Aux dernières nouvelles n'était-il pas sur l'île de Pâques, au bord du lac

du cratère de Raraku? Antonin leva les yeux et aperçut l'emplacement, vide à présent, où se trouvaient

les deux grands bouddhas détruits par les barbares. Il s'assit sur la berge, enleva ses sandales et trempa

ses orteils dans l'eau bondissante venue des montagnes proches. Sa fatigue disparut ; il sauta sur ses

pieds. "Allez, grand-père, on y va ! - On y va, répondit grand-père, mais moi je n'ai qu'un âne, que tu vois

là-bas ; je te montrerai le chemin, alors, ne sois pas trop impatient" . Antonin était déjà sur sa monture

aussi bondissante et vive que la rivière. Virevoltant, cabrant son cheval, il allait et venait au galop pour ne

pas dépasser grand-père et son âne.

Remontant la rivière, longeant quelques maisons faite de boue séchée, ils arrivèrent devant une

grande forteresse de terre, une qala, formée de hauts murs épais percés de fines ouvertures et flanquée

de tours à chaque angle. Le grand portail de bois s'ouvrit par enchantement à leur approche. Un gardien,

en tenue traditionnelle afghane, chemise brodée et pantalons bouffants, brune comme les murs de la qala,

les salua, main au front puis à la poitrine au niveau du cœur. Ils étaient à l'intérieur d'une ferme fortifiée

bordée de petites maisons basses en torchis, au toit plat, entourant au centre un grand bâtiment orné de

fenêtres en bois sculpté ; en fait tout était de bois ou de terre. Antonin regardait de tous ses yeux, écoutait

de toutes ses oreilles. Et ce qu'il voyait et entendait était surprenant : le chant d'une flûte aux mains d'une

jeune fille aux yeux doux et noirs, sous un mûrier en fleur ; un groupe d'enfants aux couleurs vives qui