jus de grenade ?" Antonin, Daoud et Davida burent en silence leur jus de grenade, pressé exprès

avec des grenades de Kandahar. Davida joua un air sur son rubâb: ses doigts agiles couraient de l'une

à l'autre avec art. Daoud regardait loin au-delà des murs de terre de la qala vers les montagnes enneigées

du Koh-i-Baba. Davida, elle, chantait de la voix douce de ses quinze ans "Gol e Zard : fleur jaune, fleur

cruelle, tu m'as brisé le cœur…". Antonin était ému. Mais où donc était passé Léo ? Serait-il resté seul

au pied du Canigou? Se sacrifiant pour protéger la fuite de ses frères et de ses cousins et cousines ?

Aurait-il eu un accident ? Une mauvaise aventure sur la route ? Il avait pourtant été convenu avec Léo

que tous, frères, cousins, cousines se retrouveraient en secret dans le cœur du monde où vivaient Daoud

et Davida. La réponse aux questions d'Antonin n'allait pas tarder.

Davida posa son instrument, Daoud ramena son regard sur Antonin. Sur leur droite, une porte s'ouvrit,

un homme parut alors, chemise et pantalons bouffants noirs, armé d'un sabre. Il s'inclina devant le roi de

Miri-Miri : "Sahib, vous pouvez me suivre." Précédé du garde sabre au clair, Antonin quitta la pièce, non

sans avoir salué Daoud et Davida et terminé rapidement son verre de jus de grenade dont il était friand.

Au centre de la qala, dans la cour, ils arrivèrent sous le mûrier en fleur ; la flûtiste lançait toujours ses

notes claires. Le garde souleva une trappe de bois. "Ah, non ! s'écria Antonin, on ne va pas encore

descendre dans les entrailles de la terre, j'en ai marre des volcans !" Mais le garde au sabre fit un geste

engageant et tous deux prirent un long couloir souterrain éclairé a giorno par de vieilles lampes à pétrole.

"Bizarre…", dit Antonin. D'autant plus singulier que dans le lointain il devinait le son de la flûte enchante-

resse sous le mûrier en fleur.

Le prince Léo était-il au bout du souterrain ? Ils franchirent un sas étroit fait de roches calcaires de

Band-i-Amir : ils étaient devant une porte d'acier. Le garde, de la pointe de son sabre, appuya sur des

points précis connus de lui seul mais formant, pour l'œil exercé et perspicace d'Antonin, la constellation

de la Baleine chère à Davida.