Siméon déprime
Après l'exploit d'Antonin et d'Aspe, le bouzkachi terminé, tout le monde était prêt à partir.Il fallait distraire au plus tôt Siméon.
En effet, depuis quelque temps déjà il était bizarre. Inquiet. Parfois abattu. Il avait semblé
suivre le bouzkachi avec distance. Davida le trouvait même déprimé. Elle lui apportait réguliè-
rement du jus de grenade qu'elle pressait elle-même avec des grenades de Kandahar. Daoud,
d'ordinaire si peu bavard, essayait de le faire rire en lui racontant des histoires de Mister Katchalou
- Monsieur Pomme de terre , histoires qui pourtant faisaient rire tout l'Afghanistan depuis des décen-
nies, et qui auraient fait se tordre le baba le plus distrait et le plus mutique. Rien n'y faisait. Siméon
ne se déridait pas. Daoud avait alors essayé les histoires de Mollâ Nasruddin, connues dans toutes
les tchaïkhonas du pays, certes plus réfléchies et plus élaborées que celles de Mister Katchalou mais
tout autant rigolotes. Siméon faisait comme s'il ne les entendait pas, le regard perdu sur les crêtes
des montagnes. Léo, Antonin et Timothée étaient très soucieux, ils envisageaient même de prévenir
les parents: c'est dire leur inquiétude. Le soir, Timothée jouait quelques notes joyeuses de guitare,
Antonin soufflait dans sa tenora un vieil air du pays catalan, Léo tapait avec élégance sur un vieux
piano qui avait, dit-on, appartenu au roi Habibollah; non point que ce roi en eût joué lui-même, mais
il aimait écouter une de ses petites-filles jouer du Chopin au clair de lune au bord du lac de Qargha.
Léo, quant à lui, préférait le rythme syncopé du rag. Hélas, rien n'intéressait le capitaine Siméon. Et
pour tout dire, il ne jouait même plus de la trompette. Il avait enfermé son instrument dans un coffre
en bois de chêne fermé par un cadenas à vis, un de ces vieux cadenas des siècles passés. Ses
frères ignoraient où était la clé - jetée à la rivière peut-être. Antonin lui apportait plusieurs fois par jour
desserts, pâtisseries, confiseries. Le Capitaine n'y touchait pas et Antonin était obligé de tout manger.
Le capitaine Siméon dépérissait. La situation était vraiment inquiétante.