La chasse à la gazelle

 

 

- Bonjour, Shir Léo, dit Davida. Je te présente mon amie Homa, venue tout exprès de Kaboul pour passer

quelques jours avec nous à l'air pur de Bâmiyân.

Pour une fois, le Shir Léo ne rugit pas deux fois comme à sa rituelle habitude. Il resta muet, interdit,

sidéré, foudroyé, et pour tout dire sans voix et de pierre devant la vivante statue dont il avait tant rêvé. Il

prit quand même force et courage pour s'incliner légèrement devant la fille du calendrier, vêtue de ses

atours nouristanis, et qui continuait à chanter sa mélopée en s'accompagnant du rythme de son tabla.

On servit le thé et les amandes ; Davida resta fidèle au jus de grenade de Kandahar. Elle annonça

que le lendemain, dès l'aube, une chasse à la gazelle serait organisée en l'honneur d'Homa, grande

cavalière. Antonin, prince du bouzkachi, était en éveil : galoper dans la steppe à la recherche d'une

gazelle, quel sport excitant ! Timothée et Siméon, eux, n'étaient pas très enthousiastes: peu enclins

à tuer des bêtes en un combat inégal, aimant trop la nature insoumise et primitive. Ils prétextèrent une

fausse fatigue, due à la route poussiéreuse et cahoteuse qu'il fallait emprunter, pour renoncer à l'expédition :

ils travailleraient la guitare et la trompette, seuls au bord de la rivière. Quant à Léo, il tremblait d'exaltation et

de ravissement à l'idée de galops fous aux côtés d'Homa-aux-yeux-noirs-et-profonds.

Il faisait encore nuit quand l'animation des préparatifs réveilla les quatre frères. Davida, Homa et Daoud

étaient déjà prêts ; l'odeur du pain chaud et du thé réunit tout le monde. Le jour se levait à peine, au chant de

mille oiseaux invisibles dans les arbres. Davida but une dernière gorgée de jus de grenade et tous grimpèrent

dans un 4x4, vieux modèle de Land Rover. Ils allaient rejoindre, de l'autre côté du Koh-i-Baba, le point de

départ de la chasse où les attendaient les domestiques, sur place depuis la veille avec armes, bagages et

chevaux. Daoud était au volant, Davida et Homa à ses côtés ; Léo et Antonin, derrière, dansaient la gigue