eux, juste au prochain tournant de la piste, un invraisemblable, incroyable, impensable, inimaginable,inexplicable et pour tout dire bizarre vieux bus d'avant-guerre, ou plutôt d'avant-guerres : on veut parler,
bien sûr, d'un bus antédiluvien datant d'avant le déluge de feu qui s'était abattu sur l'Afghanistan depuis
les premiers coups d'état, révolutions, insurrections et autres invasions. Bref, ce bus pétaradait de tous
côtés, côté moteur et côté échappement. La foule qui l'habitait était descendue et présentement entourait
ledit vestige effondré, sans vie et silencieux au milieu de la piste. Les quatre frères s'approchèrent de ce
qui n'était plus que carcasse. Ils durent vite se rendre à l'évidence : s'ils voulaient poursuivre leur voyage,
il fallait libérer le passage et pour cela aider les passagers du bus. Il fallait pousser.
- Pousse, mais pousse donc !
- Ui, ui, j'y arrive plus !
- Pousse, Timothée, pousse !
Antonin encourageait son frère et la foule. Siméon jouait la 9e avec Joie. Léo allait devant déclamant quelque
vers de Hâfiz choisi avec pertinence dans son carnet.
Enfin le bus prit son élan, pétarada de joie ; à cette canonnade, les passagers se précipitèrent qui versles sièges, qui sur le toit, les ailes ou le capot. Le bus disparut dans la poussière illuminée de midi. Tout
redevint calme et silencieux autour de la Volga. Antonin se mit à chanter un vieux refrain, "Vol' ga, Vol' ga
notre Mère ", et la troupe repartit. Il ne restait plus que quelques lacets à parcourir. La piste s'élevait entre
de forts rochers dans la chaleur sèche et le silence absolu.
Un grand aigle royal venu de l'infini lointain les avait repérés, infimes points parmi les roches de l'Hindou-Kouch, minuscules vivants dans le Koh-i-Baba désolé, dans la Montagne-du-Baba inhumaine et déserte.
D'un coup de son aile déployée, il vira et plongea vers ces menus insectes qui traversaient son empire. Quatre
enfants d'homme qui osaient, seuls, s'aventurer dans son domaine. Il descendit au plus près : une claire note de
trompette l'accueillit avec allégresse ; un vers d'Omar Khayyâm s'envola jusqu'à lui ; sous la main désinvolte de
son pilote, la Volga fit un écart à la fois pour éviter un trou et pour saluer par une révérence. Quant à