avait été détruite à l'explosif par les barbares : les filles ne doivent pas savoir lire, ni écrire. Leur place

est à la maison. Les barbares avaient été chassés ; l'école des filles avait été rouverte. Mahbouba

apprenait à lire et à écrire. Surtout à lire, du reste, car pour écrire il faut crayon et cahier et les élèves

n'en avaient pas. Seuls les garçons dans l'école d'à côté pouvaient s'appliquer à reproduire les lettres

écrites au tableau. Ils pourraient non seulement lire le Coran mais aussi écrire la parole de tous les

jours, le dari, parlé dans le village.

Les deux enfants marchaient ainsi dans le froid du matin, avides de ce qu'ils allaient apprendre.

En réalité, c'était plutôt leur mère qui était avide de voir ses enfants apprendre. Avide surtout pour sa

fille. Elle-même ne savait pas lire ; en revanche, comme pour compenser, sa mémoire était profonde :

elle récitait par cœur des sourates entières du Livre Sacré ; pour elle-même, en souvenir du passé, elle

disait des poèmes de Hâfez et d'Omar Khayyâm, poèmes que lui avait appris sa mère. Personne ne

l'entendait : c'était une manière de s'évader du terrible quotidien de toutes ces années de guerre, de

misère, de deuils et d'incertitude. Elle s'était mariée il y a dix ans déjà, elle avait à peine quatorze ans.

Il faut dire plutôt, évidemment, "elle avait été mariée", promise depuis longtemps à un homme qu'elle

ne connaissait pas. Elle l'avait vu pour la première fois le jour de son mariage : recouverts tous deux

d'un large voile, un miroir caché lui avait révélé un homme moustachu aux yeux noirs, de l'âge de son

père. Ce n'est qu'après la noce qu'elle avait appris qu'elle était la deuxième épouse. La première avait

vieilli. Il fallait la changer comme on change un vieux modèle d'appareil ménager ; au demeurant la jeune

épouse devait obéissance à l'ancienne. Quant au mari, Zaïd, il avait disparu : il y a trois ans, il était allé,

pour affaires, avait-il dit chez un cousin dans le sud du pays du côté de Kandahar. Depuis, aucune nouvelle.

Etait-il passé du côté des talibans ? De gré ? De force ? Avait-il été arrêté par les Américains ? Avait-il été

tué à un contrôle sur la route ? Avait-il fui ? Dieu seul savait.