Ainsi, allaient les deux enfants sur le chemin de l'école, chemin bordé de murs de terre, dans lafroidure piquante du matin. A part un vieux baba sur son âne, accompagné d'un jeune garçon, ils ne
rencontrèrent personne.
Depuis la disparition de leur père, les deux enfants et leur mère vivaient isolés, sans ressourcesautres que les trois moutons. La première épouse était retournée dans sa famille. Les vêtements étaient
haillons, la nourriture de disette et l'hiver menaçant. Quand viendraient donc les temps heureux ? Mais
le froid ne permettait guère aux deux enfants de rêver tranquillement au bonheur : leur marche était lutte
et leurs pensées comme prises dans le gel. Comme souvent quand ils marchaient dans l'obscurité, ils
avaient dans leur tête des histoires terribles qui se racontaient dans tout le pays - histoires réelles ou
imaginaires : boud na boud - "était, n'était pas". Comme celle de ce policier, connue de tous et colportée
au fil des ans. Le matin, on l'avait retrouvé réfugié dans un arbre de la rue où il était en faction, les pieds
dévorés par les loups de la nuit.
Ils arrivèrent au village comme le soleil se levait derrière la montagne du Koh-é-Baba, "la montagnedu grand-père". Une animation inhabituelle régnait ce matin-là, quelques gamins couraient vers l'école
côté filles. Mahbouba et Soleïman se mirent aussi à courir. Devant les écoles, simples bâtisses de terre à
la porte basse et aux fenêtres étroites, ils virent un gros véhicule tout terrain, un pick-up noir, entouré d'enfants
qui criaient. Une étrangère distribuait des paquets de biscuits : dans la bousculade de mains tendues,
Mahbouba et Soleïman réussirent à prendre chacun deux paquets qu'ils emporteraient, bien précieux,
à la maison.
Ils se séparèrent pour aller dans leur classe respective. La même étrangère distribuait maintenant àchaque fille, elles étaient une quinzaine, un cahier, un crayon et un pull over. Puis on rassembla filles et
maîtresse pour la photo : chaque élève tenait en main, bien en évidence, les cadeaux reçus de l'étrangère.
Tout le monde était figé, l'air sérieux - absent, plutôt. La photo irait dans un journal de cet Occident riche et
lointain, preuve de la générosité des donateurs. Puis le pick-up repartit, vers d'autres villages sans doute,