L'Ombre bleue

 

Faouzia avait quinze ans. Jolie fille aux cheveux noirs et aux yeux sombres mais brillants.

Au sourire clair. Elle habitait la qala de Daoud et Davida avec ses parents, ses trois frères et

sa sœur. Son père s'occupait des champs. Sa mère faisait la cuisine pour toute la qala. ; elle

cuisait le pain dans un four profond creusé dans le sol ; tous les jours, elle préparait le riz avec

du mouton ou avec du poulet. Faouzia était l'aînée, elle était allée à l'école, savait lire, écrire,

compter. Au contact de Davida, princesse aux yeux de lumière, elle avait connu la vie moderne

des jours de maintenant, elle connaissait les poètes, elle lisait les livres persans mais aussi

français que lui prêtait Davida. Faouzia avait appris la liberté. Elle aimait jouer de la flûte, le soir

au clair de lune, à l'ombre faible du mûrier.

Et pourtant, une terrible menace pesait sur sa vie naissante faite d'espérances et de lumières

à venir et entrevues. Faouzia était promise à un garçon depuis longtemps, le fils d'une famille aisée

de Kaboul, un cousin lointain. Faouzia, ne le connaissait pas, ne l'avait jamais vu et surtout ne

savait même pas l'arrangement que son père avait conclu avec le père de son futur mari. Le pacte

était ancien : ils s'étaient entendus alors que Faouzia n'avait que cinq ans et le garçon une dizaine

d'années. Ils ne pensaient pas mal faire : c'était l'usage dans les familles, depuis toujours et dans

tout le pays.

L'âge était venu, Faouzia venait d'avoir quinze ans et sa mère lui avait expliqué les choses :

fiançailles dans six mois quand l'automne serait venu, puis mariage au printemps suivant. La mère

était heureuse d'annoncer la nouvelle à sa fille, sa fille était atterrée. Faouzia avait goûté à la liberté,

délicieux poison, elle avait rêvé une vie sans contraintes, choisie par elle-même en toute lucidité.