Elle avait trop lu, trop fréquenté Davida ; mais elle ne pouvait désobéir à son père, c'était

impensable, inimaginable. Faouzia n'était plus que pleurs sans espoir.

Le soir même, elle alla frapper à la porte de Davida ; elle lui expliqua tout. Davida posa

son luth. Offrit du thé à Faouzia. Aucune ne parla. Les mots manquaient. La nuit passa ainsi,

dans le désarroi, l'inquiétude, le silence et l'abandon.

"Qu'est-ce qu'elle a, Faouzia ? - C'est Siméon qui posait la question à ses frères - Elle est

drôle, ce matin...

- Drôle, en effet, tu peux le dire, lui répondit Léo qui savait tout, après que Davida lui eut expliqué

le problème. Rendez-vous sous le grand acacia, au coucher du soleil."

On était en mai et le soleil se couchait tard, vers six heures. Tous étaient rassemblés autour

de l'acacia, assis sur un grand tapis aux roses d'Ispahan, aux fleurs du Golestan. Ils buvaient du thé

ou de l'eau ; le jus de grenade était réservé à Davida, son élixir secret. Les cerises, aigrelettes,

circulaient ; ouvertes d'un petit coup de dents, on les salait légèrement. Daoud, prince taciturne,

exposa la situation puis posa la question: que faire pour aider Faouzia ? Davida égrena quelques

notes sur son luth, ça l'aidait à réfléchir et, plus sûrement, à calmer ses émotions.

Entre deux cerises croquées goulûment, c'est Antonin qui parla le premier : "C'est tout vu.

On l'enlève à cheval. On l'emmène en France. On la cache au Château d'If. J'en connais tous les

coins et les recoins vu que j'y ai séjourné quelque temps*. Personne ne la trouvera. Le Château d'If

sera une prison à l'envers. Faouzia pourra en sortir à sa guise mais les ennemis ne pourront y entrer.

Mes chers frères et vous, Daoud et Davida pleins de sagesse, j'ai dit."

- Ui, ui, s'écria Timothée, fastoche, à bas les parents de Faouzia, à bas le bonhomme de Kaboul !

- Tais-toi, Timothée, tu dis des bêtises. Ah, le benêt ! coupa le Capitaine Siméon.

* voir les Aventures polynésiennes