Maroto, Tahiti

 

Tetufera, nom étrange à des oreilles persanes: c'est le volcan de Tahiti, son coeur arrêté. 

Je l'approche à pied par une large piste rocailleuse qui monte au milieu des bananiers et des hibiscus,

dans la chaleur humide du printemps austral. J'ai quitté Maroto, sa rivière, ses cabanes, son marae

et ses promeneurs tranquilles. La piste est solitaire, verdure et silence; elle est l'unique marque humaine. 

Une chèvre rendue à l'état sauvage est apparue, singulière, fugace et effrayée. Aucun oiseau, bientôt plus d'insectes.

C'est le règne du seul végétal. Quelques heures encore et les dernières fougères disparaissent; le sol est nu,

pierreux et noir. Au-dessus, une lèvre immense se dresse verticale, c'est le rebord du cratère. Basalte noir et

lave grise: je suis à l'intérieur du volcan. Triomphe du minéral, loin de toute vie: la vraie force dans son état premier,

sauvage et tellurien. Et David dérisoire, à la merci de la roche souveraine, éternelle et créatrice. La même puissance

que la roche afghane de Band-i-Amir. La tentation est grande de la mort, simple retour à l'énergie initiale.

Retour à ma mère. Brutalité du séisme. Ensevelissement sous la montagne branlante, la lave mouvante et l'air brûlant. 

Mais la marche est naturelle et le pas spontané qui me mènent au-dessus du cratère noir. Ma mère abandonnée. 

Cratère, amer calice. Un étroit tunnel , boyau sombre et humide, traverse la paroi du volcan et je me retrouve

sur la face méridionale, ensoleillée, parmi les fougères et les fleurs. En bas, lointain, le lac de Vaïhiria. 

Autre monde. Je le fuis. Je fais demi-tour. Redescends en courant, le coeur battant et bouleversé. Maroto. Je remonte

la vallée par un chemin hospitalier; il me faut trouver un sentier sur ma droite, qui descend abruptement vers le lit de la rivière,

au milieu des fougères et des bambous, glissades et chutes: la rivière; de rocher en rocher, je la suis vers son amont,

un grain soudain ralentit ma marche un instant, l'eau est vivace, brutale parfois, je lève les yeux et je découvre enfin la cascade. 

Quelques dizaines de mètres de chute dans un minuscule lac. La solitude des premiers jours du monde.  Je me dévêts.

Je plonge dans l'eau bienfaisante jusqu'aux tourbillons dessous la cascade. Je suis libre.

 

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