dernières marques de la vie des hommes s'effacent derrière moi, dans le lointain de Saqqara,

les derniers bus klaxonnent pour appeler les derniers touristes pressés de rentrer au Caire

pour retrouver les ombres d'aujourd'hui. Chemin palindrome, je vais dans l'autre sens. Je

fiche dans le sol une branche bleue de jacaranda, elle fera repère et borne lorsqu'il me faudra

revenir à Memphis l'égyptienne.

J'avance désormais dans le vent qui se lève et ralentit ma marche, vers le brun du couchant.

Les sarcophages sont là, posés depuis des siècles, en partie ensevelis, les couvercles épars, brisés.

Je vois le mien, qui m'est destiné depuis les temps perdus, arrondi pour épouser la forme de la

tête, suffisamment grand pour m'y recevoir entier et loger mes épaules. Je me mêle au sable et

e retrouve l'élément primordial. Ma pensée s'arrête. Je ne fixe que le présent : le sarcophage, le désert,

le vent qui se tait dans le soleil disparu, l'obscurité qui vient et les premières étoiles froides. Le

frissonnement du désert est en moi ; je suis frisson. L'harmonie du vent emplit seule mes oreilles ;

je suis chant. La lune enfin levée, de sa lumière indécise m'a saisi. Je peux alors m'allonger sur la

pierre rugueuse mais accueillante du sarcophage ; protégé mais exposé au regard de la voûte céleste ;

inquiet, sans doute, mais libre ; dénué, certes, mais ardent.

Geb en attente de Nout, Nout qui prend matière dans les étoiles et dans l'astre de sérénité, dans

le noir de l'espace mais aussi dans la finesse de l'air du crépuscule, dans le crépuscule même, dans ce

temps du soir qui progresse vers la nuit : Nout est vivante, m'entoure et m'étreint.

Moi qui ne suis que cadavre offert aux forces de la matière. Chair putride encore attachée aux os.

Froid de la nuit, enlace mon corps, terre et pierres du désert, recouvrez-le, silence de l'obscurité, saisis-le

et le réduis au néant. Fuis, Majnoun !Deux de ces chiens longs, jaunes et faméliques, à l'allure de chacals,

qui hantent les nécropoles et rôdent autour des hommes, m'ont retrouvé, sensibles aux souffles de la mort.

Ils sont assis de part et d'autre du sarcophage, hiératiques, statues immobiles et sacrées, gardiens de

l'incommensurable vérité.

Thanatos m'est connu : la quête de l'Eros peut commencer.
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